Ploubezre entre passé et avenir L'église Saint-Pierre - La chapelle de Kerfons - La chapelle Sainte-Thècle - Les Cinq Croix - Les manoirs de Ploubezre Si l'histoire de Ploubezre se situe essentiellement dans le contexte élargi du pays proche ou lointain (Lannion, le Trégor, la Bretagne, la France, l'Europe...), le patrimoine bâti lui est propre, et témoigne d'une occupation attestée dans le sol depuis au moins l'époque néolithique. Le tumulus du Rhun (breton Run = tertre) fouillé au XIXe siècle et le menhir dit "ar Min Sul" (la pierre de soleil) localisé à Kermorgan sont des indices de la préhistoire, complétés par le cimetière de Keryanaouen remontant à l'âge du bronze, et semble-t-il, utilisé jusqu'à l'époque gallo-romaine (le site a été fouillé avec l'ARSSAT en 1990). Une stèle gauloise ronde existe également à Kerlan. Il n'y a pas de trace de l'installation des Bretons en Armorique vers les Ve-VIe siècles, si ce n'est le nom de la paroisse, Plebs Petri, cité dans le procès de canonisation de saint Yves rédigé vers 1330. C'est donc un personnage inconnu nommé Pierre qui a fondé la paroisse, et l'église a pris le nom des saints Pierre et Paul plus connus (le concile de Whitby en 664 aurait imposé aux églises de grande et de petite Bretagne d'être placées sous la dédicace de saint Pierre). La fondation de Ploubezre est typiquement bretonne, un groupe de Bretons s'installant sur une hauteur et non au bord d'une rivière. Puis, jusqu'au Xe siècle, il n'existe presque aucune information sur la vie des Bretons dans ce qui est devenu la Bretagne. Les habitants occupent des maisons en bois, éventuellement construites avec des soubassements en pierres. Si la première église a dû être en bois, l'église actuelle a été reconstruite vers 1870, dans un style cher à Viollet-Leduc (le néo-gothique), en conservant le clocher-mur de style Renaissance (daté de la seconde moitié du XVIe siècle, attribué à l'atelier Beaumanoir), ainsi que plusieurs chapiteaux anciens de style roman. Les pierres de l'ancienne église ont été certainement réutilisées pour construire la nouvelle. L'église contient plusieurs statues anciennes, ainsi que les armoiries des familles nobles de la paroisse, peintes au dessus des colonnes de la nef.
L'ancien cimetière autour de l'église a été déplacé, mais le mur d'enceinte est resté intact, conservant beaucoup de pierres et croix anciennes, y compris une inscription en moyen breton que l'on peut lire "tut mat ho pater leveret - o tremen Ploeberz an bezret" (braves gens dites votre pater en passant Ploubezre (dans) le cimetière). Aujourd'hui on écrirait et prononcerait : "Tud vat la(va)rfet ho pater - o tremen Plouber er vered". Il faut cependant noter qu'au moyen âge les mutations des initiales (ici, m > v et b > v) n'étaient pas écrites mais quand même prononcées ; et que les "z" de Ploubezre et de bezret n'étaient sans doute plus prononcés, car le sculpteur n'a pas su les placer correctement avant les "r". Cette inscription est peut-être datable des environs de 1400, car l'église fut semble-t-il gravement endommagée lors de la guerre de succession de Bretagne (1341-1364).
Le Moyen-Age Vers l'an 1000, la féodalité se met en place, et le besoin de se défendre conduit les chefs à fortifier leur résidence, le plus souvent sur une motte, soit naturelle soit artificielle. A Ploubezre, il y a au moins deux exemples : à Runfao où un site naturel de hauteur a été fortifié et à Kerhervé où une motte artificielle a été construite au bord du ruisseau. Les premiers bâtiments étaient alors en bois et entourés de palissades défensives. Puis la technique de construction en pierres taillées va revenir en force : les premiers manoirs font leur apparition, et Ploubezre va en héberger plusieurs, dont certains vont prendre une importance grandissante au cours des siècles. Les manoirs qui ont survécu jusqu'à nos jours sont le plus souvent des reconstructions du 15e et 16e siècle : Kerguéréon, Kerauzern, Coatarel (renommé Coatallain à l'époque moderne), Keranroux, Rosalic, Kerael... Runfao va tomber en ruines, et Kerhervé va voir la construction d'un manoir à quelque distance de la motte ; Coatfrec et Kergrist vont prendre une importance exceptionnelle pour devenir de véritables châteaux. En parallèle, des chapelles se multiplient sur la paroisse, souvent éléments privatifs associés aux manoirs. Sainte-Thècle au bord du Léguer est peut-être une fondation après croisade par Rolland de Coatarel ; Saint-Fiacre de Runfao est une belle chapelle gothique. Saint-Ethurien au sud près de Stang-ar-Garo a disparu, ainsi que Sainte-Anne de Kerguéréon ; Saint-Jacques du Ruguirec, en mauvais état, fut rasé vers 1960 (mais des anciens de Ploubezre n'ont pas oublié les derniers pardons). La plus belle des chapelles de Ploubezre est certainement Kerfons, construite dans un site
en pente près du Léguer qui portait le nom de Kerfaouez, "le hameau de la Hêtraie" ; de grande taille, richement sculptée, elle reçut vers 1480
un superbe jubé en bois, sans conteste l'un des plus beaux de Bretagne. Un bref historique
La chapelle vue de l'enclos au sud
Le jubé La tribune en encorbellement est décorée côté nef de 15 panneaux représentant de droite à gauche : le Christ, Marie-Madeleine, les douze apôtres et sainte Barbe. Ce dernier panneau à gauche représente une femme tenant un livre et une palme ; une petite tour à gauche de sa tête fait penser à sainte Barbe, mais comme elle n'a pas d'auréole et ne tient pas la tour dans sa main comme dans la statue de l'église de Ploubezre, il n'est pas interdit de penser qu'il s'agit de la maîtresse des lieux et que la tour est une tour de Coatfrec. Chaque personnage est disposé dans une niche surmontée d'un dais gothique ; chacun porte ses attributs : saint Jacques avec le levier à fouler, saint Philippe et sa croix en tau, saint Barthélémy et son couteau, saint Mathieu et la hache, ... Ce magnifique jubé, l'un des plus beaux de Bretagne, témoigne de la maîtrise des sculpteurs, des huchiers, de tous les artisans du bois (probablement venus de Morlaix) qui ont participé à sa réalisation. Au bas de la tribune, dix anges aux ailes dorées portent les instruments de la Passion, ou des écussons, dont la plupart ont été martelés sous la Révolution. Côté choeur, on peut admirer de l'autre côté du jubé un bel escalier à vis, servant à accéder
à la tribune pour les lectures, les prônes et les sermons. Treize panneaux décorés d'entrelacs avec feuillages, d'arabesques chères à la Renaissance,
et mélangés à des accolades gothiques ornent ce côté. Une autre suite d'anges, placés en pendentif, rappelle celle du jubé du Faouët. Le choeur
Ci-dessous, le choeur après restauration en juin 2012 A gauche du choeur, se trouve sur un petit retable surélevé la statue de Notre-Dame de Kerfons ; datée de 1685, cette statue représente la Vierge portant son enfant et écrasant un diable féminin au corps couvert d'écailles de poisson mais à queue de serpent. Le thème de la Vierge terrassant le dragon est fréquent, surtout après les missions du Père Maunoir, qui encourageait les pieuses confréries à rendre un culte à la Vierge Marie, à réciter le chapelet du Rosaire, à construire de nombreux retables pour l'instruction des fidèles... Sur la droite du choeur, devant un second petit retable surélevé, un évêque sans nom, identifié par certains comme "saint Jacques", mais peut-être aussi saint Tugdual, fondateur du diocèse de Tréguier. Les chapelles latérales A gauche du choeur, dans la chapelle de la Vierge, un beau groupe de l'Annonciation se trouve également en hauteur à côté du vitrail.
A droite du choeur, dans l'aile sud Renaissance dédiée à saint Yves, se trouve un retable
lavallois daté de 1612 et comportant un tableau (huile sur toile) de saint Yves entre le riche et le pauvre. Une statue plus ancienne de saint Yves
se trouve à droite du retable. Le culte de saint Yves était très populaire dans les églises et chapelles du Trégor; et l'église de Ploubezre est
dotée elle aussi d'un retable dédié à saint Yves.
La charpente de voûte de cette aile sud accuse une forme de coque de bateau renversé. Oeuvre de charpentiers de marine, elle comprend des personnages
sculptés dans le style des figures de proue de l'époque. On peut voir sur les poutres horizontales des queues d'hermine noires peintes sur fond blanc. Autres éléments décoratifs de Kerfons Les Cinq Croix - Ar Pemp Kroaz Sur la route du bourg à Kerfons, on passe devant le groupe des Cinq Croix (ar Pemp Kroaz) ; contrairement à l'affirmation de la carte postale ancienne qui associe le monument à la célébration d'une victoire sur les Anglais, il s'agit d'un regroupement de croix diverses fait en 1733 ou postérieurement par le recteur de Ploubezre, comme le montre la date sculptée sur une pierre de l'ensemble. Il n'y a pas de trace d'invasion de troupes anglaises dans le Trégor à cette époque.
Elle est située sur la commune de Ploubezre, près du Léguer, à proximité du pont qui mène
vers Buhulien. La chapelle est une construction post-Renaissance, avec une nef pouvant accueillir une centaine de personnes ; un petit transept complète l'édifice. Le clocheton est un lanterneau de style Renaissance hébergeant une cloche. Le linteau de la porte d'entrée comporte une gravure peu visible avec la date de 1871 : il s'agit probablement de travaux de rénovations. A cette date doit être associé le blason figurant au-dessus du tableau du fond du choeur : ce blason est celui du pape Pie IX, pape de 1846 à 1878, dont les armoiries figurent sur de nombreux édifices rénovés sous le second empire (selon l'information fournie par P. Salaün le 19 sept. à Guingamp lors de la visite en breton de la basilique Notre-Dame de Bon-Secours, où l'on voit également ce blason). Il est évidemment probable que les travaux de rénovation de la chapelle ont été lancés avant la chute de l'empire en septembre 1870 ; ces travaux semblent avoir concerné les enduits muraux intérieurs et les peintures associées. Les volutes du plafond ressemblent en effet beaucoup à celles du plafond de l'église de Ploubezre, reconstruite dans les années 1860. Actuellement, la chapelle a un statut très particulier, puisque le sol sur lequel elle est construite n'appartient pas à la commune mais aux propriétaires du terrain environnant. Cette situation résulte des ventes des biens religieux lors de la Révolution, la propriété du sol n'ayant sans doute pas été associée avec celle de la chapelle. Lors de la Révolution, la chapelle a donc été détachée des terres associées à la seigneurie de Coatfrec. Au XVIIIe siècle, la chapelle fait partie des biens des propriétaires de Coatfrec, biens qui semblent être transmis parfois par acquisition et non par héritage (selon extraits de l'Echo de Lannion en 1965 écrits par Yves Briand s'appuyant sur les comptes de fabrique, document reçu par Jean-Yves Marjou de l'archiviste de l'évêché ; et la liste des seigneurs de Coetfrec citée par J.-Y. Marjou). La guerre de la Ligue semble avoir été l'étape précédente, occupation de Coatfrec par Guy Eder de la Fontenelle début 1592, et démantèlement du château ordonné par le Parlement de Bretagne en décembre 1592. Les troubles de la Ligue ont pu conduire à la destruction de la chapelle précédente, et entraîner une reconstruction à mettre au compte d'une demande pressante des habitants du quartier et non à celui des propriétaires du château, celui-ci étant devenu inhabitable. Les comptes de fabrique présents vers 1700 et les cantiques anciens semblent témoigner pour une reconstruction de la chapelle vers la fin du XVIIe siècle. La construction semble solide et soigneusement réalisée ; l'entretien de la couverture, en très bon état actuellement, est assuré par la mairie. Les deux cantiques à sainte Thècle disponibles (l'un imprimé cher Anger à Lannion, reçu par J.Y. Marjou de l'archiviste de l'évêché, l'autre imprimé chez Le Goffic à Lannion et faisant partie de la collection de Daniel Giraudon) font état de guérisons de personnes des environs dont Jean-Yves Marjou a retrouvé les naissances vers 1640. Ces deux cantiques, qui ne se recopient pas mais ont une base ancienne commune, parfois au mot près, attestent d'une chapelle détruite dont l'emplacement n'est pas vraiment précisé. Le plus ancien parle même d'une grotte au pied du château comme premier site d'installation du culte de sainte Thècle. Cette grotte n'est pas connue sur la pente qui descend du château. Les deux cantiques parlent de la fondation d'origine comme étant celle d'un ermite venu d'Italie en Bretagne ; si l'existence de la chapelle Sainte-Thècle est unique en Bretagne, ce récit de la venue d'un ermite d'Italie est aussi inhabituel ; on peut même douter de son authenticité vu le caractère improbable de l'évènement. S'agit-il du besoin de répondre à l'existence de nombreux ermites bretons pour une sainte d'origine très lointaine ? Aucune époque n'est donnée pour la venue de cet ermite, ce qui n'aide pas à valider cette proposition. L'origine de la sainte en Asie Mineure, à Iconium (aujourd'hui Konya à l'intérieur de la Turquie sur une grande voie de communication) suggère un apport de reliques lié aux Croisades. Pourtant Icône fut prise définitivement par les Turcs vers 1100. Mais Thècle serait décédée à Seleucie (aujourd'hui Silikfe) sur la côte sud de Turquie, également sur une voie de passage. On sait que Rolland de Coattarel (aujourd'hui Coat-Allain, proche de Keriel) participa à la 7e croisade en 1248 avec saint Louis. Mais il est possible que des seigneurs de Coatfrec aient aussi participé à des Croisades. Le culte de sainte Thècle est peu répandu en France : on la trouve à Chamalières (Puy-de-Dôme), à Valloire (Hautes-Alpes), Saint-Jean-de-Maurienne (Savoie), Peillon (Alpes-Maritimes), Séguret (Vaucluse), Rocles (Lozère)... Il existe un couvent de Sainte-Thècle à Maalula en Syrie, et une paroisse Sainte-Thècle au Québec fondée en 1873. Une basilique Santa Tecla existe à Milan, et la cathédrale Santa-Tecla de Tarragone en Espagne est réputée héberger les restes de la patronne de la ville. Chaque année, la grande fête de Santa Tecla a lieu plusieurs jours a Tarragone, jusqu'au 23 septembre. Une liqueur chartreuse nommée aujourd'hui Santa Tecla y est aussi fabriquée (les Chartreux, expulsés de France en 1903, s'étaient installés à Tarragone pour y continuer leur production, aujourd'hui rapatriée à Voiron [Isère] ).
Kerguéréon apparaît comme un bon exemple de manoir typique de la région entre 1450
et 1500 : forme en L avec une tour d'angle, fermé par une enceinte en pierre dont le rôle défensif est moins nécessaire à une époque où la guerre
n'est plus endémique...
Kerauzern est également un manoir en L, plus grand, avec une aile gothique et une aile Renaissance. Le château de Kergrist Kergrist est au départ un manoir gothique, qui a été considérablement modifié pour arriver à
un château essentiellement Renaissance, avec quatre tours externes et deux tours d'angle internes ; la disposition en U a créé une cour intérieure
peu lumineuse. Succédant probablement au manoir de Runfao de l'autre côté d'un vallon encaissé, il a connu plusieurs familles de propriétaires. Le château de Coatfrec Démantelé après les guerres de la Ligue à la fin du XVIe siècle, le château reste imposant, mais très endommagé et inhabitable. Son état actuel est bien pire que celui du château de Tonquédec, ouvert aux visites. Racheté en 2002 au marquis de Rosanbo, il a donné lieu à des opérations de dégagement et de déblaiement, que le nouveau propriétaire veut faire suivre de travaux de restauration en vue de le rendre habitable. Le dégagement des soubassements a permis de faire apparaître l'entrée qui n'était plus connue, ainsi que deux tours plus anciennes que celle subsistant. L'histoire de Coatfrec a pu être reconstituée : à un manoir de type logis-porche à deux tours a succédé, peu après 1460, un superbe château fortifié, sur ordre du duc de Bretagne à son chambellan Guillaume de Penhoët, propriétaire du lieu. C'est donc une résidence de prestige pour un proche du duc de Bretagne qui voit le jour. Mais le côté défensif est minoré, comme en témoignent les baies superposées de la tour encore debout, ce qui a entraîné des lézardes importantes. Une comparaison entre deux photos de cent ans d'écart montre l'évolution de 1900 à aujourd'hui : le couronnement de la plus haute fenêtre est tombé lors de la tempête du 26 décembre 1999, et les pierres ont continué à s'écarter en cent ans (plus de 10 cm). Il est donc urgent de sécuriser l'existant. A l'occasion des journées du patrimoine, le château a accueilli des visiteurs, avec plusieurs attractions : promenade en char à banc, musique médiévale, exposition d'artisanat (sculpture) et démonstration d'arbalètes et de baliste (septembre 2008).
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